/ HAS MAGAZINE
Installations multimédias dans les musées
Patrice Mugnier
Artiste et réalisateur multimédia
Le Big Data peut servir l’éducation et la recherche, et améliorer les expériences culturelles, par exemple lorsqu’elles sont utilisées pour concevoir des installations multimédias interactives dans les musées. activecreativedesign.com

Patrice Mugnier / Active Creative Design, Films d’introduction, exposition permanente,
Musée de l’Homme, Paris

Les bases de données du Big Data sont composées d’accumulation massives d’informations numériques à des échelles dépassant les capacités classiques de l’analyse scientifique. Leur émergence a entraîné l’apparition de nouveaux outils, tant pour leur visualisation que le traitement des informations qui les composent. Basés sur l’utilisation des technologies numériques, ces outils ouvrent de nouvelles perspectives pour les artistes et designers contemporains. Nous nous intéresserons ici à leur répercussion dans notre pratique d’artiste et designer produisant des installations multimédias dans un cadre muséographique.

Une forme originale d’expérience collective

La visualisation de données forme un champ nouveau de la représentation picturale. Ni figurative, ni abstraite, elle utilise comme matériau primaire la composante propre à l’information, qu’elle donne à voir de manière synthétique et signifiante. Utilisant ouvertement l’ensemble des moyens graphiques à sa disposition, elle cherche en permanence le moyen de représentation le plus pertinent : 2D, 3D, emploi de la couleur, animation et, surtout, interaction en temps réel avec le spectateur qui devient capable de manipuler cette représentation afin d’en approfondir la connaissance.

Dans le cadre muséographique, des formes de questionnaires numériques accessibles au visiteur d’une exposition constituent un exemple pertinent des nouvelles possibilités offertes. Au travers d’un ensemble de questions et de manipulations, ces outils permettent au visiteur de se situer vis-à-vis de la problématique de l’exposition : son rapport à la technologie, à la bioéthique, au transhumanisme, etc. Les réponses de l’ensemble des visiteurs sont ensuite stockées dans une base de données pouvant contenir des centaines de milliers d’entrées. Un algorithme permet alors de synthétiser les réponses selon un certain nombre d’axes d’analyse. En utilisant trois axes, il lui est possible de se situer dans un espace tridimensionnel. L’ensemble des réponses forme ainsi un nuage filtré selon les caractéristiques de chacun des visiteurs (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, etc.) et au sein duquel chaque visiteur identifie clairement sa propre position.

L’exposition devient alors une forme originale d’expérience collective au sein de laquelle chacun peut se situer dans son rapport au contenu abordé. Deux enjeux majeurs s’en déduisent pour le designer du dispositif multimédia : la nécessité de cadrer des algorithmes pour lesquels il ne connaît pas par avance les réponses du public et le risque de voir le système de visualisation de données produire ses propres artefacts, c’est-à-dire des figures graphiques davantage liées au système de représentation lui-même qu’aux caractéristiques des réponses du public de l’exposition.

Patrice Mugnier / Active Creative Design, Films d’introduction, exposition permanente,
Musée de l’Homme, Paris

Apprentissage profond

Le traitement des informations liées au Big Data constitue un second enjeu dont l’introduction dans le cadre de la muséographie reste aujourd’hui encore expérimental. Face à la quantité d’informations mobilisées par certains domaines (traitement d’image, reconnaissance vocale, analyse 3D, etc.), les algorithmes basés sur des solutions mathématiques classiques se sont vite révélés inadaptés : il n’existe pas d’équation permettant d’identifier un chat ou de gagner à un jeu. L’émergence de l’apprentissage profond (deep learning), technique mettant en œuvre des couches cachées de réseaux de neurones artificiels, a révolutionné l’approche scientifique du problème en entraînant des systèmes logiciels à réaliser des objectifs concrets : identifier une forme, analyser un comportement, comprendre une requête orale, etc.

Pour les musées, l’apprentissage profond s’est déjà traduit, en termes pratiques, par l’ajout de robots assistants capables d’interagir avec les visiteurs ou encore par l’analyse des comportements du public dans la découverte de collections. Mais ces expériences, aussi intéressantes soient-elles, ne concernent pas directement le contenu culturel et scientifique des expositions. Elles s’avèrent même le plus souvent contre-productives, lorsqu’elles orientent les stratégies et les politiques des institutions culturelles. En effet, le deep learning fonctionnant par apprentissage d’un grand ensemble de références, il ne produit aucun concept novateur par lui-même, contrairement à une intelligence humaine. Il s’agit d’un outil nouveau, dont il est nécessaire d’aller chercher la pertinence du côté des expérimentations artistiques.

Des espaces massivement multi-utilisateurs

Dans le domaine du multimédia, certaines plateformes de création intègrent déjà la notion d’agents autonomes comme, par exemple, le moteur du jeu Unity. De tels développements permettent de modifier la nature des interactions du public avec le contenu des expositions. Plutôt que de mettre en œuvre de simples interfaces tactiles permettant d’accéder à un contenu prédéterminé, il devient possible de scénariser un comportement de l’espace muséographique en fonction des interactions du public en présence. Les interactions collectives étant parmi les plus complexes à gérer, notamment par leur manque de lisibilité à l’échelle individuelle, les technologies liées à l’apprentissage profond vont permettre de faciliter leur mise en place et d’accéder à des modalités d’interactions plus complexes et naturelles. On peut ainsi anticiper des développements novateurs dans le cadre d’espaces massivement multi-utilisateurs, avec notamment la possibilité de produire des expériences collectives associant scénographie et scénarisation en temps réel.

On le voit, l’émergence des technologies liées au Big Data s’avère particulièrement riche de promesses dans le cadre des expositions intégrant une dimension multimédia. Néanmoins, il appartient aux différents responsables, commissaires d’expositions, scénographes et concepteurs multimédias, de veiller à la dimension éthique de ces dispositifs qui pourraient facilement devenir intrusifs. L’exposition est un espace de liberté destiné à la création, l’apprentissage et à la découverte. L’ensemble des informations qui y sont produites, nécessairement anonymes, ne peuvent y avoir d’autre finalité sans trahir la confiance qu’accordent les visiteurs aux institutions culturelles.

Artiste et réalisateur multimédia. Diplomé de l’ENSAD Paris, réalisateur dans le domaine du motion design, il ouvre en parallèle sa pratique aux technologies numériques temps réel à travers la création de dispositifs muséographiques et artistiques. Il est co-fondateur de la société Active Creative Design.

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Big data et
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JUIN 2020
L'auteur

Artiste et réalisateur multimédia. Diplomé de l’ENSAD Paris, réalisateur dans le domaine du motion design, il ouvre en parallèle sa pratique aux technologies numériques temps réel à travers la création de dispositifs muséographiques et artistiques. Il est co-fondateur de la société Active Creative Design.

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